Secrétaire freelance, le risque de salariat déguisé

La question du salariat déguisé revient souvent dans les discussions sur les réseaux sociaux ou le forum des secrétaires indépendantes.

Le plus souvent, il s’agit de déterminer le nombre d’heures maximales que l’on peut effectuer pour le compte d’un.e seul.e client.e.

Les gens sont ainsi faits qu’il leur faut une réponse précise à leur question (normal), mais nos institutions ne sont pas si précises (dommage)…

Ainsi, j’ai pu lire, plusieurs principes, tels que « ne pas travailler plus de 11 jours par mois pour la ou le même client », « ne pas dépasser plus de 50 % de son CA », « pas plus de 27 heures »…, mais rien de cela n’est confirmé par des sources officielles…

Ces informations paraissent d’ailleurs bien peu solides quand on pense que ce n’est pas le nombre d’heures qui fait un contrat de travail 👀

Ainsi, nombreuses sont les secrétaires salariées qui exercent à mi-temps, et nombre d’entre elles cumulent aussi plusieurs postes salariés, y compris dans d’autres domaines d’activités.

Je parle des secrétaires, mais cela vaut pour tous les corps de métiers.Retour ligne automatique
La seule règle étant – pour les salarié.es – de ne pas dépasser 48 heures cumulées sur une même semaine.

Qu’est-ce que le salariat déguisé ?

Dans la pratique, il s’agit pour une entreprise cliente/employeuse de faire appel à une secrétaire indépendante pour des missions réalisées dans un cadre relevant du salariat (sans indépendance).

Objectifs :

  • s’exonérer du paiement des cotisations sociales
  • se soustraire au droit du travail (rémunération minimum au SMIC, congés payés…)

Juridiquement, on parlera plus de « travail dissimulé » dont le « salariat déguisé » ou le « faux travail indépendant » sont des formes.

Ainsi, selon l’URSSAF,

« Le recours volontaire à la pratique des faux statuts (faux bénévole, faux stagiaire, fausse entraide familiale, faux travailleur indépendant…) constitue un délit de travail dissimulé.  »

La dissimulation d’emploi salarié par le recours à de fausses ou faux travailleur.es indépendant.es peut notamment être établie dans les conditions précisées par l’article L. 8221-6 du Code du travail :

Si les personnes immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers ou au registre des agents commerciaux sont présumées ne pas être liées avec le donneur d’ordre par un contrat de travail dans l’exécution de l’activité donnant lieu à immatriculation,

« L’existence d’un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les personnes mentionnées au I fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d’ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci. »

Ce que dit la jurisprudence

Depuis 2015, la Cour de cassation a été amenée à se prononcer plusieurs fois sur des cas de requalification de micro-entrepreneur.es comme salarié.es, notamment à l’initiative de l’URSAFF (lors d’un contrôle).

Ce que l’on reproche à la personne donneuse d’ordres est de chercher à « se soustraire à ses obligations d’employeurs ».

« Le fait, pour un employeur, de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales (déclaration annuelle des données sociales) caractérise la dissimulation d’emploi. » (source)

C’est une des raisons pour lesquelles, il est difficile pour un.e ancien.ne employeur/employeuse de justifier ne plus payer ses cotisations au motif que son « ex-employée » secrétaire est devenue « indépendante » en s’immatriculant auprès de la chambre des métiers… Retour ligne automatique
Et que c’est désormais à elle de régler les cotisations afférentes à sa protection sociale.

En 2017, la Cour a pris un nouvel arrêt, considérant que si une entreprise recourt aux services de personnes immatriculées sous le statut micro-entrepreneur, et que ces personnes se trouvent en réalité placées dans un lien de subordination juridique permanent à l’égard de celle-ci, elles doivent être considérées comme des salariées et l’entreprise sera condamnée pour travail dissimulé (Cass. Crim, 10 janv. 2017, F-D, n° 15-86.580).

C’est bien le lien de subordination qui « trahit » le contrat de travail.

📌 Un nouvel arrêt de la Cour de cassation datant du 28 novembre 2019 caractérisait plus expressément le lien de subordination comme l’ absence d’indépendance dans l’organisation et l’exécution du travail .

Lien vers l’arrêt : Retour ligne automatique
https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechExpJuriJudi&idTexte=JURITEXT000039465711&fastReqId=212371864&fastPos=1

Et l’analyse de Franc Muller, avocat du travail : Retour ligne automatique
https://www.francmuller-avocat.com/nouvelle-illustration-dune-requalification-dautoentrepreneur-en-salarie/

Pour déterminer s’il y a subordination ou non, les juges s’appuient donc sur des faisceaux d’indices, comme :

  • Les personnes travaillent au sein du service, aux horaires du service, sur le matériel fourni par l’employeur
  • Elles ne peuvent pas choisir leurs dates de congés, doivent demander l’autorisation de s’absenter
  • Elles se présentent comme appartenant à cette entreprise et suivent des directives
  • Elles ne sont pas capables de justifier de leurs tarifs sans doute imposés, et ces tarifs sont inférieurs à ce qu’ils devraient être, d’où un effet d’aubaine pour l’employeur/employeuse
  • Les factures présentées sont floues sans précision des missions effectuées
  • Les personnes étaient auparavant employées de la structure sur les mêmes fonctions…

Ce sont bien sûr des exemples qu’on peut rencontrer dans les cas de requalification…Retour ligne automatique
Ils ne sont pas exclusifs et n’ont pas besoin d’être cumulés pour trahir l’existence d’un lien de subordination…

Le contrat de prestation est alors considéré comme une fiction juridique dissimulant un travail salarié afin de payer moins de charges.

Elle permet à l’employeur/employeuse de bénéficier d’une souplesse maximum dans la gestion de son personnel (pas de procédure de licenciement, paiement à la tâche, pas de congés payés…) et d’économiser sur les cotisations sociales qu’ille ne pait pas sur ces contrats.

Pour la ou le prestataire, le manquement à ces obligations n’est pas sans conséquence, car elle fragilise, ceuz-ci n’étant plus protégé.es par le droit du travail 👉 pas de tarif minimum (beaucoup d’auto-entrepreneur.es gagnent en réalité moins que le SMIC), pas d’assurance chômage, une moindre protection sociale…

Les sanctions au salariat déguisé concernent essentiellement l’employeur ou employeuse

Celles-ci concernent avant tout l’employeur/employeuse.

Les salarié.es ne seront pas poursuivi.es, à moins qu’une fraude au chômage soit avérée…

Par exemple, un.e salarié.e demande une rupture conventionnelle de son contrat de travail pour s’inscrire au chômage, et travaille de nouveau pour son ancien.ne employeur/employeuse à temps partiel, sous le statut d’auto-entrepreneur.

Dans ce cas, les organismes concernés peuvent se retourner contre ellui en appliquant les sanctions prévues par leur propre réglementation (suppression du revenu de remplacement, sanctions pénales pour fraude aux prestations…).

En ce qui concerne l’employeur/employeuse, ille pourra être condamné.e :

  • Au paiement des salaires, heures supplémentaires, primes, congés, indemnités de toute nature correspondant à un poste de salarié équivalent, et ce, depuis le début avéré de la relation de travail ;
  • Au paiement des cotisations sociales du régime général pour toute la durée de la relation contractuelle ;
  • À l’octroi d’indemnités de licenciement en cas de rupture des relations, et de dommages et intérêts pour préjudice matériel ou moral…
  • Au paiement d’une amende de 225 000 euros pour délit de travail dissimulé ou abus de vulnérabilité.

Quels sont les risques et enjeux pour les secrétaires indépendantes ?

Outre les risques encourus par votre employeur ou employeuse, la question posée est surtout celle du droit du travail.

Nombreuses sont les secrétaires freelances que je côtoie qui sont prêtes à renoncer à leurs droits comme salariée pour une illusion d’indépendance

Puisqu’il s’agit bien d’une illusion, puisqu’elle remplace une personne salariée sur son poste de travail, mais sans le statut…

Au risque de s’en mordre les doigts plus tard 😕

Dans le meilleur des cas, la situation perdure quelques années jusqu’à la lassitude d’une des deux parties qui souhaitent soit changer de poste soit changer d’employée.

Le plus souvent, la situation finit par se tendre à un moment donné, et la personne employée se rend compte que son statut indépendant ne correspond finalement pas exactement à ce qu’elle avait imaginé au départ 👉 pas de choix des horaires, pas le choix de ses congés, conditions de travail similaire à celles d’une salariée, risques de sanctions et réprimandes, risques de fin de mission sans indemnités (et sans droit au chômage)…

Parfois, ses employeurs ou employeuses indélicat.es peuvent aller jusqu’au harcèlement (nous avons croisé des cas sur le forum) jouant sur l’isolement des micrio-enrepreneur.es non protégé.es, et pouvant entrainer des problèmes de santé…Retour ligne automatique
Il est déjà un peu tard, alors que la personne est épuisée psychiquement et moralement, pour faire valoir ses droits en faisant par exemple appel à un.e avocat.e pour faire requalifier son contrat…

Cela dit, si la personne enregistrée en micro-entreprise a bénéficié d’aides en tant que demandeuse d’emploi, suite (par exemple) à une rupture conventionnelle, alors qu’elle continue à travailler pour son employeur/employeuse, sous couvert du statut micro, elle pourra être amenée à devoir rembourser, au moins partiellement, les prestations indument perçues…

Au final, comment éviter une situation de salariat déguisé ?

Pour ma part, je ne considère pas le fait de travailler à mon compte comme une concurrence au salariat.

Je ne suis jamais intervenue auprès de mes client.es que pour des missions qui ne pouvaient être assurées dans le cadre salarié.

Non pas forcément d’ailleurs parce qu’il n’existait pas de lien de subordination…, mais parce que les client.es n’auraient pas pu trouver quelqu’un pour ce type de contrat.

Ainsi, quand j’intervenais sur site une ou deux fois par mois, pour la préparation des papiers du cabinet comptable, comment ma cliente aurait-elle fait pour trouver une personne salariée pour le faire ?Retour ligne automatique
Idem pour les trois heures réalisées sur site tous les mercredis soir pour un autre client…

Je ne parlerai pas de mes client.es à distance, pour des missions représentant quelques heures par semaine, parsemées dans la journée.

J’ajoute que mon tarif horaire avoisinait forcément le double du coût d’une secrétaire salariée.

Si mes client.es ne payaient pas de cotisations sociales, moi, oui ! Retour ligne automatique
En outre, illes payaient le double de ce que leur aurait coûté le même travail effectué par une salariée, pour peu qu’ils aient pu trouver quelqu’un…

En revanche, quand je vois que certaines secrétaires acceptent des missions longue durée sur site de 20, 30 ou 35 heures par semaine. Retour ligne automatique
Je dis attention ⚠️

Rien ne vous empêche de signer un CDD et de garder parallèlement votre statut d’indépendant.e.

Comment justifierez-vous auprès de l’URSSAF que :

  • Vous ne recevez pas d’ordres et de directives de votre client.e ?
  • Qu’ille ne contrôle pas votre travail ?
  • Qu’ille ne peut pas vous sanctionner… ?

Au moins votre tarif justifie-t-il qu’ille ne fasse pas d’économie sur votre contrat ?Retour ligne automatique
Car cela risque de lui coûter cher de faire appel à une secrétaire indépendante pour un temps plein, ou même pour un mi-temps !

Pour ne pas prendre de risque de requalification, je prendrais un taux horaire de 30 euros à 35 heures par semaine (déjà suspect en soi), cela nous donne : 4 450 euros par mois.Retour ligne automatique
Cela vaut-il le coup ⁉️

Enfin, comment justifierez-vous la non-dépendance économique vis-à-vis de votre client ?

Je pense qu’à défaut de critère quantitatif, un peu de bon sens suffit à nous défendre de salariat déguisé !

⭐ Et vous ? Que pensez-vous de cette question du salariat déguisé ? Y avez-vous déjà été confronté ? Avez-vous une anecdote à nous raconter ?

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